Nicolas Sarkozy sait peut-être où le mène son action militaire en Libye, mais sait-il ce qu’il a fait de la défense française ? En Libye comme en Afghanistan, les démonstrations de forces avec le meilleur de nos capacités masquent en réalité une situation gravement détériorée de nos armées. Depuis 2007, la politique de défense française est conduite sur des foucades et par à-coups.
L’horizon du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale a certes été obscurci par un vol de cygnes noirs mais les imprévus de l’histoire au cours des quatre dernières années, crise financière et révolutions arabes notamment, ne sont pas seuls en cause dans les revirements de notre politique militaire. Ainsi après avoir réintégré l’OTAN sans conditions ni garanties, nos dirigeants se sont finalement aperçus des inconvénients de cette décision. Ils ont alors cherché à corriger le tir comme on l’a vu dans la conduite des actions en Libye.
Trop tard hélas pour faire marche arrière. L’Europe de la défense n’a pas été mieux lotie. Après avoir plaidé son impérieuse nécessité, Nicolas Sarkozy, incapable d’un jeu collectif, a définitivement tourné le dos à cette ambition pour s’abandonner au succès étroit de la coopération avec les Britanniques. Quant à la loi de programmation militaire 2009-2014, elle est aujourd’hui en miette. Il faut dire qu’elle reposait sur un mensonge : l’équilibrage des dépenses par des recettes exceptionnelles, notamment immobilières, manifestement hors d’atteinte. Nicolas Sarkozy qui, à son arrivée au pouvoir, imposa au ministère de la défense la suppression de 54 000 postes pour combler les trous laissés par son prédécesseur, lègue lui-même à son successeur une ardoise d’impayés et de traites sur l’avenir qui s’élève à plusieurs dizaines de milliards d’euros.
La présidence de Nicolas Sarkozy aura, en tout, manqué de constance. Mais pour la défense, dont les choix sont nécessairement de long terme, les changements de pied politiques et une gestion à la petite semaine ont des effets dévastateurs. Que recommander à son successeur ? Etre cohérent et honnête ! Dire où l’on va, avec quels moyens et dans quel cadre. Ce qui implique d’abord de cerner les enjeux et d’éviter les faux débats.
L’avenir de la dissuasion nucléaire française pose question mais pas dans l’immédiat. Alors que la prolifération nucléaire et balistique s’accélère, les armes nucléaires conservent un rôle substantiel pour la défense de la France. La modernisation de nos capacités stratégiques, en passe d’être achevée, les situe parmi les plus performantes au monde. La France détient de ce fait un incontestable avantage politique et militaire. Faut-il tailler dans cet arsenal dont la force océanique est le pivot ? Supprimer, comme le proposent certains, la composante aérienne qui vient juste d’être payée ne présente aucun intérêt en termes d’économies ; le décider unilatéralement nous priverait en outre bêtement d’un levier dans les négociations multilatérales de désarmement.
Au-delà de 2030, horizon d’obsolescence des armements en cours et de développement des systèmes anti-missiles, le futur de notre dissuasion est cependant dans un angle mort. Le prochain président devra donc rendre des arbitrages difficiles sur la relève des programmes de dissuasion ou sur leur abandon. Il devra aussi trancher la participation de la France au bouclier anti-missiles de l’OTAN. Plus généralement, il lui reviendra de décider des équipements qui dimensionnent la supériorité militaire au XXIe siècle (satellites, drones, missiles) dont le financement est défaillant. Ces choix conditionnent l’autonomie de nos approvisionnements stratégiques et la survie d’une base industrielle de défense qui suppose aussi la réalisation de nouvelles fusions et des consolidations d’entreprises.
L’Europe de la défense est en panne. Sa relance est impérative mais se heurte à tant d’obstacles concrets et à un tel scepticisme généralisé qu’on pourrait être tenté, comme Nicolas Sarkozy, de jeter l’éponge. Ce serait une erreur dont les générations futures nous feront violemment le reproche. La France, de façon opiniâtre, doit reprendre l’initiative avec les Allemands, les Britanniques, les Polonais, les Espagnols, les Italiens, les Belges, les Grecs et tous ceux qui voudront collectivement s’atteler à la tâche. Pour cela il faut tenir à nouveau nos partenaires un langage clair. Pour nous, la gouvernance politico-militaire des questions de défense doit se situer dans l’Union à dimensionner dans ce but. L’OTAN est une organisation pourvoyeuse de moyens logistiques et de commandement, c’est une boite à outils. Il faut s’en servir.
On ne sortira donc pas de l’OTAN. Il faudrait que cette volte-face présente plus d’avantages que d’inconvénients. Mais cette organisation, comme l’affaire libyenne le confirme, est à une croisée de chemin. Quoique toujours importante à leurs yeux, l’OTAN n’est plus une priorité pour les Américains. L’OTAN est désormais le problème des Européens : celui de leurs divisions face aux hypothèses d’emploi de la force et celui de leurs appareils de défense en voie de déclassement. A cet égard, le manque d’intégration des armées européennes est aussi problématique pour l’UE que pour l’OTAN.
Une remise à plat du budget des armées et de notre programmation militaires est inévitable. Il faudra dénoncer certains contrats d’externalisation exagérément coûteux passés en hâte pour étaler les charges. Pourquoi consacrer tant de crédits aux infrastructures, quand le financement des équipements est aussi peu assuré. En ce qui concerne le format des armées, une limite basse a été atteinte. Non seulement l’effectif de nos forces, à niveau d’activité inchangé, permet difficilement de maintenir dans la durée certaines opérations mais rend problématique en cas de crise majeure interne (comme l’accident nucléaire japonais) une mobilisation rapide et massive des armées.
Enfin, il convient recentrer nos opérations extérieures dont la multiplication disperse l’effort et grève les budgets (1,2 milliard en 2011). En Afghanistan, après la mort de Ben Laden, il est clair que la France n’a plus qu’un objectif secondaire- ne pas nous désolidariser des Américains- et une préoccupation : organiser un repli militaire en bon ordre. En première ligne en Libye, exposée aux menées de l’AQMI dans le Sahel, à la merci d’un dérapage en Afghanistan, à portée des contre effets possibles des crises arabes, la France serait ainsi bien inspirée de reconcentrer ses efforts diplomatiques et son dispositif militaire sur les enjeux de sécurité en méditerranée et en Afrique.
Tribune publiée dans Rebonds - Libération le 25 mai 2011.